L’eugénisme hier et aujourd’hui (10)  : les principes néo-malthusiens 

Source: FSSPX Actualités

La Conférence mondiale de la Population de Mexico (1984)

Le courant néo-malthusien a eu comme souci constant le développement et la diffusion des méthodes d’eugénisme négatif et quantitatif, c’est-à-dire de limitation de la population. Son histoire a été racontée dans l’article précédent. Il reste à découvrir les principes qui l’animent. 

Ces principes sont plus que jamais d’actualité. Ils sont à la base d’un vaste courant de pensée et expliquent en partie les politiques menées par les instances internationales. 

Une guerre des riches contre les pauvres 

En 1974, E. S. Calderon constate l’opposition qui existe entre riches et les pauvres en matière de natalité  : « Le contrôle de la natalité apparaît comme un substitut au développement économique et au changement social. Il est clair que le problème concerne les pauvres, car c’est eux qui se reproduisent le plus au niveau international, avec les pays sous-développés, et au niveau national, avec les classes marginales. Les riches internationaux et nationaux qui forment une même classe, n’ont pas de problème démographique. Ils ont le problème de conserver leurs privilèges dans un monde où la multiplication des pauvres menace l’existence de l’ordre établi E. S. Calderon, Le problème de la pilule, 1974. ». 

La même année, le journaliste et essayiste Dominique Jamet donne un aperçu des débats qui se tiennent à Bucarest, lors de la Conférence mondiale de la Population qui s’y déroule du 19 au 30 août 1974  : « Au 31 décembre prochain, 80 millions de convives supplémentaires chercheront au “banquet de la vie” au moins un tabouret à défaut d’une bonne place où recueillir quelques miettes. Ces nouveaux venus ne sont pas toujours les bienvenus. (…) Le Niger, Haïti, l’Inde ou le Congo accroissent chaque année la population du monde de quelques millions de misérables qui n’auront pas assez de nuits pour maudire le jour qui les a vus naître. L’espérance de vie ne se chiffre pas seulement en quantité mais en qualité. (…) Les riches, au contraire, ont depuis longtemps appliqué volontairement une politique de restriction des naissances. Ils n’en partagent pas pour autant leurs richesses. Mais, après tout, au nom de quelle justice ? On ne voit pas pourquoi les parents des uns trinqueraient pour les enfants des autres Dominique Jamet, « Le monde menacé de la bombe “S” », L’Aurore, 24-25 août 1974. ». 

Certains accusent l’“impérialisme” américain 

Les Etats-Unis jouent un rôle clé et n’hésitent pas à le reconnaître à l’occasion : « Le contrôle de la population est nécessaire pour maintenir l’activité normale des intérêts commerciaux américains dans le monde entier. Sans notre effort pour aider les pays dans leur développement économique et social, le monde se révolterait contre la forte présence commerciale des Etats-Unis. L’intérêt propre est un impératif. Si l’explosion démographique se poursuit sans qu’on la brise, cela causerait des situations économiques si terribles que des révolutions s’ensuivraient. Et les révolutions sont rarement bénéfiques aux intérêts des Etats-Unis Jeremy Campbell, « Nouvelles de Washington », Evening Standard, 11 mai 1977. Il s’agit d’une interview du Dr Ravenholt, directeur du Bureau américain de la Population, une agence du Département d’Etat. ». 

Ce point fut réaffirmé officiellement dans un mémorandum du Secrétariat à la Défense publié en 1992. Il s’agissait, après la chute du communisme, de prévenir l’émergence d’un nouveau rival Cf. New York Times, 8 mars 1992.. Le rôle des Etats-Unis dans les politiques menées par les instances internationales sous les présidences Bush, Clinton et Obama, va dans le même sens. 

La volonté d’imposer un projet universel de société 

Dès 1969, la Conférence internationale du Planning Familial de Dacca avait le mérite d’énoncer les objectifs poursuivis par cette organisation. Y furent présentées 29 propositions destinées à pallier l’échec des méthodes néo-malthusiennes en Inde et au Pakistan. Les recommandations s’étendent de la libéralisation de l’avortement à la modification des institutions sociales et économiques Dr Lagroua Weil-Hallé, L’avortement de Papa, Fayard, 1971, p. 39 et sv.. 

Dans son livre Croissance zéro ?, Alfred Sauvy, réfute les arguments du Club de Rome en montrant combien « cette optique de la population du monde, prise comme un tout, alors qu’elle est hétérogène et divisée en nations indépendantes A. Sauvy, Croissance zéro ?, Calmann-Lévy, 1973, pp. 120-121. » est une illusion. Il dénombre neuf “optimums démographiques” qui vont de la richesse à la quantité totale de bien-être en passant par la puissance. Cela revient à dire que n’importe quel pays doit s’aligner sur ces “canons” démographiques s’il veut obtenir un meilleur équilibre démographique. 

Francis Crick, prix Nobel de médecine en 1962

Le refus de l’effort à l’intérieur des pays riches 

Alfred Sauvy, opposé à la croissance zéro (voir l’article précédent sur le Zero Growth) dénonce la dilapidation des ressources dans les pays riches : « Pour le moment, le souci essentiel est de maintenir le gaspillage sous toutes ses formes, en pensant que la limitation ou la réduction du nombre des gaspilleurs permettra de maintenir les mauvaises habitudes. L’histoire inspire quelques doutes sur ce simplisme arithmétique 7  ». 

Ce gaspillage est aussi dénoncé par René Dumont, partisan convaincu de la croissance zéro. A la Tribune de la Population qui, à partir du 18 août 1974 se tient à la Faculté de Droit de Bucarest en marge de la Conférence mondiale de la Population, il accuse les habitants des pays riches d’être des « cannibales » et des « anthropophages modernes » : « Vous avez indirectement mangé les enfants du Sahel. Au lieu de leur envoyer les céréales dont ils avaient besoin pour survivre, vous en avez nourri votre bétail qui s’est trouvé ensuite sur votre table 8  ». 

La notion de « qualité de la vie » 

Parmi toutes les raisons qui motivent les politiques de contrôle de la population, figure au premier chef l’argument de la qualité de la vie. Intervenant au colloque organisé par le Grand Orient de France sur le thème « Avortement, contraception, la parole est aux femmes », le franc-maçon Jean Corneloup déclarait le 9 mars 1974 : « Il est donc capital que le législateur (dont la responsabilité se situe avant celle du médecin) ait la claire vision de la réalité des dangers qui menacent, qu’il soit persuadé de la nécessité de fournir les moyens de parvenir à la société de qualité, qui ne peut être fondée que sur des hommes de qualité, qualité physique aussi bien que mentale. (…). Si le législateur refusait au médecin les moyens légaux de remplir sa tâche, toute sa tâche, la marée démographique ne pourrait être endiguée. Il doit être aussi bien compris que l’œuvre ne devra pas être circonscrite à tel ou tel pays hautement développé. Le problème démographique doit être également résolu dans les pays sous-développés. Sans doute les moyens d’application devront-ils varier. (…) Mais leur généralisation est d’autant plus indispensable que les pays sous-développés sont justement ceux où le taux de natalité est le plus élevé. (…) Il faut que le législateur ait le courage de prendre parti, même si quelques éléments lui manquent pour être absolument sûr de la valeur de son choix 9  ». 

Cet argument est repris sous des formes diverses. Il infère directement que, en deçà d’un certain seuil de qualité, il y a des vies qui ne valent rien, qui ne valent pas d’êtres vécues, qui ne sont pas vraiment des vies humaines. 

Le docteur Claude Peyret, catholique, médecin et député gaulliste, le dit crûment : « La société moderne, par une meilleure connaissance de tous les domaines de la santé, a fait disparaître la sélection naturelle. (…) On peut penser que sans freins, cette société moderne sera un jour capable de faire “vivre” définitivement les individus la composant. Mais alors se pose un problème social, conséquence lui-même d’un problème économique. Déjà les économistes estiment trop lourdes les charges financières de santé : jusqu’au point de devenir insupportables à la société. Dans ces circonstances, l’homme est appelé à faire des choix, choix ô combien difficiles ou souvent cruels ! entre les sommes que l’on pourra consacrer au maintien de la vie et celles nécessaires aux conditions de la vie. (…) Sachant qu’il est utopique de pouvoir laisser vivre à n’importe quel prix chaque individu, sera-t-il moral de consacrer des sommes considérables à vouloir faire naître des monstres, alors que ces mêmes sommes auraient permis de soigner et de guérir de nombreux enfants “pleinement humains” ? 10  ». 

Le Dr Peyret rejoint ici la position du professeur Francis Crick, prix Nobel de médecine en 1962, qui affirmait tranquillement : « De nouvelles définitions légales de la vie et de la mort sont nécessaires si l’on ne veut pas que l’explosion démographique pose un problème de qualité autant que de quantité. Par exemple, on pourrait envisager une nouvelle définition légale de la naissance, en repoussant la date de deux jours après la délivrance. Cela permettrait d’examiner les nouveau-nés qui ne sont pas des êtres humains au vrai sens du terme et d’administrer l’euthanasie à ceux qui sont nés avec une difformité, quelle qu’elle soit 11  ». 

Le caractère sacré de la vie 

C’est une loi de la pensée humaine inscrite par Dieu en elle, de reconnaître spontanément le caractère sacré de la vie. Le seul moyen, si l’on veut y attenter de manière systématique – en dehors du crime passionnel ou du grand banditisme –, consiste à lui refuser sa valeur humaine. 

Pour trouver une justification, tranquilliser sa conscience et entraîner les autres à sa suite pour bâtir une société basée sur cet argument, il faut dénier le titre d’homme à celui qui est éliminé. La méthode consiste donc à établir une échelle à partir d’un élément jugé indispensable pour pouvoir parler de vie humaine, et de fixer un seuil : au-dessus, c’est un homme, en dessous, c’est une vie à éliminer car il s’agit d’un déchet non humanisé. 

Comme le dit plaisamment le père Michel Schooyans, professeur à l’Université catholique de Louvain : « les riches semblent disposer d’un mystérieux engin appelé eudémomètre, appareil qui permettrait de mesurer le bonheur ; leur appréciation est en fait basée sur les statistiques relatives au revenu. À partir de là, les riches estiment que la vie des pauvres n’a pas de sens parce qu’ils ont un faible revenu ; il faut donc – disent-ils – empêcher les pauvres d’avoir des enfants. La vie des pauvres vaudrait la peine si ces pauvres avaient accès au plaisir et à la richesse qui y ouvre la voie 12  ». 

Ainsi se construit un monde où la cupidité et l’argent sont rois. 

  • 7Ibid.
  • 8J. Vérinaud, « Bucarest 1974 - Le monde s’interroge sur ses problèmes de population », Information MEP 42, novembre 1974, p. 12.
  • 9Cité par Naughton, Le choc du passé, G.A.R.A.H., 1974, p. 29.
  • 10Lettre du Dr Peyret, signataire d’une proposition de loi sur l’avortement, aux députés U.D.R. du 30 octobre 1970. Citée par Naughton, Le choc du passé, G.A.R.A.H., 1974, p. 29.
  • 11Tribune Médicale, 21 novembre 1970.
  • 12Tribune Médicale, 21 novembre 1970.