L’eugénisme hier et aujourd’hui (11) : les moyens de propagande

Source: FSSPX Actualités

Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire 1994

Après avoir décrit les caractéristiques du mouvement eugéniste, il faut considérer les moyens qui sont employés pour répandre cette idéologie, qui sont autant de moyens de pression et de propagande.

Les promoteurs de l’eugénisme ont mis en place de nombreuses organisations qui poursuivent différents objectifs. Toutes concourent à diffuser les idées eugéniques en recourant aux moyens de masse : tracts, livres, télévision, sites internet. Ils s’efforcent de favoriser dans la pratique comme dans les législations une politique eugénique.

Ces organisations se sont constituées dès la fin du XIXe siècle. Sans en dresser un tableau complet, il est possible de montrer comment ces organisations aux fins apparemment très diverses concourent à un même but, et qu’elles ne reculent devant aucune perversion.

Des organisations en réseaux

Il est remarquable, écrit un auteur américain, « que l’on retrouve les même personnalités dans les diverses organisations internationales qui militent en faveur du “birth-control”, de l’avortement, de l’eugénisme ou de l’euthanasie, quand ces organisations ne militent pas successivement pour le “birth-control”, l’avortement, l’eugénisme et l’euthanasie 1 ».

Le premier Congrès international d’Eugénique eut lieu à Londres en 1912. Après la Grande guerre le second se tint à New-York dès 1921, puis un troisième en 1932 dans la même ville. De son côté, la Fédération internationale d’Eugénique fonda des Journées qui se tinrent dans différentes villes occidentales.

Parallèlement, dans le sillage des théories de Gobineau et de Chamberlain, sont fondées des sociétés d’hygiène mentale (comprendre : d’hygiène raciale). La première, la Société d’Hygiène mentale du Connecticut, est fondée aux Etats-Unis en 1908. Trente ans plus tard, 34 pays avaient leurs propres associations d’hygiène mentale.

Le lien entre toutes ces associations eugéniques est prouvé. À titre d’exemple, en Angleterre, Evelyne Fox fut d’abord animatrice de la Société d’Eugénique avant d’être secrétaire de l’Association Centrale pour l’Hygiène Mentale, puis de participer à la fondation du Conseil National pour l’Hygiène Mentale. De nombreuses personnes seront à la fois membres de ce Conseil et de la Société d’Eugénique. C’est sous la pression de ces associations que diverses législations eugénistes furent adoptées dès le début du XXe siècle.

Elles furent actives même pendant la deuxième guerre mondiale. En 1942, l’Association Centrale pour le Bien-être mutuel, le Conseil national pour l’Hygiène mentale et l’Association de Surveillance mentale fusionnent pour former l’Association provisoire pour la Santé mentale dont Mme Norman devient présidente. Son mari, gouverneur de la banque d’Angleterre, avait soutenu financièrement le IIIe Reich.

Division du travail

Après la guerre, une Association nationale pour l’Hygiène mentale est lancée par les Norman pour fédérer les associations existantes. Elle aboutit à la fondation de la Fédération mondiale pour l’Hygiène mentale. Dès cette époque, une stratégie est mise au point, comme l’atteste le rapport annuel de la Société d’Eugénique. Ce rapport « manifeste en effet la volonté de l’association de ne pas prendre directement en charge l’action et la propagande auprès du public, du Parlement et des pouvoirs publics, mais de passer le relais à des organisations spécialisées contrôlées par personnes interposées ou par des liens financiers 2 ».

De même la Fédération mondiale pour l’Hygiène mentale décide que « les éléments de son programme (doivent être) séparés, formulés distinctement et non simultanément par des organisations spécialisées autonomes 3 ». C’est ainsi que l’Association de Stérilisation volontaire partage la même adresse que la Société d’Eugénique. Ces associations financèrent dès sa fondation la Fédération Internationale du Planning Familial, (IPPF) qui fut également aidée par la Fondation Galton et d’autres organismes américains.

La division du travail s’établit ainsi :

« Les éléments du projet politique de la Société d’Eugénique ont été séparés et confiés aux diverses organisations spécialisées créées à cette intention, à savoir :

1. une association (nationale) pour la santé mentale ;

2. une société pour l’eugénisme ;

3. une ligue ou une association pour la légalisation de l’avortement ;

4. une association pour la stérilisation volontaire ou non ;

5. une association pour l’euthanasie volontaire ou non.

Si l’on repère les membres influents de des diverses associations, on établit aisément que les mêmes noms se retrouvent souvent, en particulier les membres des associations 3, 4 et 5 [qui] appartiennent aux associations 1 et 2. Ces associations ont le souci constant de mener des actions complémentaires et de s’aider mutuellement (les succès des uns servent de base de départ aux autres et justifient les actions qu’ils mènent).

Les exemples peuvent être multipliés pour les pays scandinaves, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne.

Prenons l’exemple de la Grande-Bretagne. Le Bureau de l’Association pour la Réforme de la loi sur l’avortement est composé :

- du Professeur Glanville Williams, membre de l’Association nationale pour l’Hygiène mentale, de la Société d’Eugénique, des Comités exécutifs de la Société pour l’Euthanasie et de la Campagne pour le contrôle des naissances ;

- de Sir Julian Huxley, membre de l’Association nationale pour l’Hygiène mentale, des bureaux de la Société d’Eugénique et de la Société pour l’Euthanasie ;

- de la baronne Stocks, membre de l’Association nationale pour l’Hygiène Mentale, de la Société d’Eugénique et du Comité exécutif de la Campagne pour le contrôle des naissances ;

- du Dr Eliot Slater, membre de la Société d’Eugénique et du Comité exécutif de la Campagne pour le contrôle des naissances.

Au Comité exécutif de la Société pour l’euthanasie on retrouve Lord Adrian, membre de la Société d’Eugénique et de l’Association nationale pour l’Hygiène mentale, le Professeur Glaville et Sir Julian Huxley 4 ».

Aux Etats-Unis, le Dr Alan Guttmacher, Président de la Fédération Américaine du Planning Familial, est membre du bureau directeur de la Société Euthanasique d’Amérique.

En 1952, John D. Rockefeller III fonde le Conseil de la Population (CP) à New-York et presque simultanément se fonde la Fédération internationale du Planning familial à Bombay qui sera soutenu par le CP et financé par l’Institut Rockefeller. Un Rockefeller fait également partie de l’Association nationale américaine pour la Santé mentale.

Entraide internationale

Il s’établit bien sûr des échanges entre les différents pays, que manifestent la tenue de Congrès internationaux et la création de Fédérations mondiales qui s’épaulent mutuellement.

Un exemple caractéristique de cette entente internationale est donné par les circonstances qui entourèrent la promulgation de la loi sur l’avortement en Angleterre. Ici comme ailleurs, la tactique employée vise à obtenir gain de cause dans un pays pour justifier la promulgation de la loi dans un autre. Ainsi l’Association pour la réforme de la Loi sur l’avortement fut fondée en 1936 en Angleterre. Et la même année, l’américain Frederick Taussig publiait un ouvrage qui devint immédiatement la référence américaine en cette matière ; or le livre était une commande du Comité national de santé maternelle dont le secrétaire était le Dr Robert Dickinson 5 . En 1963, Vera Houghton qui avait été secrétaire exécutive de l’IPPF (International Planned Parenthood Federation) – et dont le mari Douglas Houghton était président du groupe parlementaire travailliste à la Chambre des Communes, devint présidente de l’association. C’est elle qui, par différentes voies, obtiendra le vote de la loi.

En France, le Professeur Raoul Palmer, promoteur de la loi Neuwirth libéralisant la contraception, est président de l’Association nationale pour l’étude de l’avortement et vice-président du Mouvement français du Planning familial. En 1976 il se retrouve président de l’Association pour l’étude de la stérilisation volontaire. De même le Dr Pierre Simon ou Mme Dourlen-Rollier font-ils partie de multiples organismes.

En un mot, le mouvement eugénique a su s’organiser comme une minorité agissante, multipliant les associations, fondations et congrès afin de gagner en visibilité et de gagner les sphères de gouvernement. Grâce à ses financements, il a orchestré des campagnes médiatiques et diffusé son idéologie dans les écoles et auprès des femmes. Une clique passée maître en propagande.

  • 1Georges Naughton, Le choc du passé, G.A.R.A.H., 1974, p. 74.
  • 2Naughton, op. cit., p. 81.
  • 3Ibid.
  • 4Naughton, op. cit., pp. 82-83.
  • 5Henry Kimpton, L’Avortement spontané et provoqué, aspects médicaux et sociaux, Londres.